Résumé : une pause a lieu dans les aventures de Guillaume Berthier. En compagnie d’Imogène d’Arcy, il se rend au mariage de son cousin Boris, et pas un fantôme à l’horizon. Tout va donc pour le mieux. Tout ? Non.
Les épisodes précédents sont réunis dans la section Guillaume Berthier.
« – Imogène ? Tu ne crois pas que tu exagères ?
Elle ne leva même pas les yeux.
– Non.
– Moi non plus. Je crois cependant que la famille de la mariée le pense. »
Je me levai et refis le tour de la place de la mairie, évitant soigneusement le banc devant lequel se tenait mon cousin et ses témoins. Voici deux heures que nous attendions la mariée, en vain. Les trente premières minutes, le maire avait fait bonne figure. Les trente suivantes, il s’était montré stressé. Au bout d’une heure et demi, il nous avait flanqué dehors, nous avait laissé son numéro de portable, et prié de l’appeler si jamais la mariée « se pointait ». Il avait franchi la distance qui le séparait de son domicile tout proche d’un pas élastique et avait passé le seuil de sa demeure. J’aurai aimé l’imiter.
Bien sûr, des signes d’inquiétude apparaissaient, ici et là. J’appris ainsi que la mariée devait venir dans la voiture de ses témoins, accompagnée de sa demoiselle d’honneur. Cette dernière était arrivée par ses propres moyens, aussi furieuse que sa bonne éducation le lui permettait, croyant qu’elle avait été oubliée. L’un des témoins avait été joint par téléphone, il attendait encore. Mes tantes avaient appelé, comme dans un mauvais feuilleton, les hôpitaux et les commissariats. Bien sûr, Boris avait tenté de joindre Morgane – je ne me souvenais même pas de son prénom – sans succès. Sa mère ? Elle était décédée, quelques années auparavant. Son père ? Il était déjà présent et son expression était indéchiffrable. Il était ennuyé, bien sûr, mais il l’était depuis qu’il avait pris place dans la salle des mariages.
– A ton avis, me souffla Benjamin, combien de temps avant qu’il ne sollicite ton aide, toi, le commandant Berthier, qui a mis hors d’état de nuire celui que la presse avait surnommé « le tueur des musées » ?
– Un surnom débile, intervint Imogène, toujours plongée dans son livre. Notre écossaise préférée l’avait sorti de son sac à main XXL dès que nous avions été contraints de lever le camp.
– Qui sait ? renchérit-il. Elle a peut-être été enlevée. A moins qu’elle ne se soit enfuie avec le témoin. Il a disparu lui aussi. Au fait, qu’est-ce que tu lis ?
Ils se tutoyaient, l’entente avait été immédiate. Boris n’avait même pas serré la main d’Imogène.
– Manuel de savoir-vivre à l’usage des invités à un mariage annulé par Philippe-Antoine de Nanterry. J’ai aussi du même auteur : « comment survivre avec 380 invités et un mariage reporté à une date ultérieure. Ne faites pas cette tête-là, c’est le comte lui-même qui me les a prêtés. Il s’est dit que j’en aurai besoin. Le témoin disparu est une femme. Peut-être sont-elles allées voir ailleurs si ton cousin n’y était pas ?
Une heure passa encore, et les recherches s’intensifièrent. Benjamin, Juliette, Imogène et moi avions effectué un repli stratégique dans le salon de thé du village. Dire qu’un buffet champêtre nous attendait à la maison de campagne du beau-père de Boris.
– Pourquoi le mariage religieux n’aura-t-il lieu que dans deux mois ? demanda Juliette. D’habitude, les deux s’enchaînent.
– Pose la question à Boris, si tant est qu’il veuille bien nous parler, répondit Benjamin.
– Au moins, seul le maire est furieux, intervint Imogène. Le curé de la paroisse aurait peut-être été moins charitable.
Elle avait commandé un thé, nous trois cafés. Elle pianotait sur le clavier de son téléphone portable, bien plus vieux encore que le mien.
– Mon frère voulait savoir comment la cérémonie s’était déroulée, je lui dis qu’elle n’a pas encore eu lieu.
– Toby ou Rudy ?
Je n’étais pas peu fier de me souvenir du prénom de ses deux petits frères.
– Non, Russel. Il est physicien. Il s’inquiète toujours pour moi. D’ailleurs, je ne vous cacherai pas que je ne compte pas passer ma soirée ici, et si je ne peux être d’aucune utilité, autant que je retourne à Dijon.
Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’Imogène avait un don. A peine avait-elle prononcé ces mots qu’une berline s’arrêtait sur la place et que deux jeunes femmes en sortirent. Boris, tante Valéria, et quelques membres de la famille Maresquier accoururent. Pas besoin d’être commandant pour comprendre que l’une des deux était la future mariée.
– Originale, sa tenue, ponctua Imogène, qui avait quitté son siège et son thé pour se rapprocher de la vitre.
Boris avait saisi Morgane par les épaules, et échangeait avec elle des propos animés (soyons généreux, supposons que ce soit bien elle) pendant que monsieur Maresquier se tenait légèrement en retrait, pas concerné du tout par ce qui se passait, ce qui ne changeait pas grand chose à son attitude. Morgane Maresquier, future Morgane Tessier, était vêtue d’un gros pull en maille noir, d’un pantalon en cuir, de grosses chaussures (je dirai plutôt des bottes de chantier, me souffla Imogène) et cerise sur le gâteau de mariage, un bonnet noir. J’avais rarement vu mariée arborer un couvre-chef aussi épuré. Je n’eus guère le temps de m’extasier davantage sur cette excentricité, Juliette était battue à plates coutures, que l’ex-future mariée remontait dans sa voiture, et repartait, manquant au passage de renverser mon cousin.
– Guillaume, je crois que cette fois-ci, sur le podium de la loose familiale, tu n’es plus premier !
Revenons trois ans et demi en arrière. Je fête mon anniversaire avec ma compagne, nous vivons ensemble depuis trois mois. Tous mes amis sont là, même le docteur Bérénice de Nanterry, même mon supérieur, le commissaire divisionnaire Aymeric Gauthier est là. Je suis heureux, joyeux, encore expressif. J’ignore que mon co-équipier lorgne sur ma copine, je ne sais pas que je serais bientôt grièvement blessé et que je ne vivrais plus sans voir des fantômes. Je suis dans le bonheur de l’instant présent. J’allai demander à Benjamin s’il voulait un autre jus d’orange (et oui, jamais d’alcool, même quand je ne suis pas en service, vieille coutume familiale) quand on sonne à la porte. Je vais ouvrir, je me demande qui peut bien venir alors que tous mes invités sont déjà là. Sur le seuil, se tient Constance, mon ex-compagne. Elle porte un bébé dans ses bras. Elle entre.
« – Bonjour Guillaume. Je te présente Victoria. C’est ta fille. Quand j’ai compris que nous deux, c’était presque fini, j’ai tout fait pour tomber enceinte. Comme ça, nous sommes liés pour la vie. Bon anniversaire. »
Trois ans plus tard, les circonstances ne comptent plus, et je suis ravie d’avoir une fille, même si je ne la vois qu’un week-end sur deux,la moitié des vacances scolaires ou chaque fois que sa mère craque et la dépose chez sa grand-mère pour une durée indéterminée. Puis, la situation aurait pu être pire, elle aurait pu s’appeler Imogène.
– Il est très bien, mon prénom, dit notre clerc de notaire préférée.
Pourquoi avais-je l’impression qu’elle lisait dans les pensées ?