Quinze jours étaient passés depuis nos aventures nocturnes, puis quinze autres. Tout allait pour le moins pire possible au SRPJ. Nous avions arrêté l’agresseur présumé de Nicolas Gauthier, nous avions même arrêté le meurtrier présumé de son associé, et avions découvert, non sans stupéfaction, que les deux affaires n’étaient pas liées. J’avais revu Imogène d’Arcy à plusieurs reprises, elle avait toujours refuser d me raconter en détails ce qui s’était passé ce soir-là.
« – Il est des secrets qu’il vaut mieux de pas partager. »
Cette phrase était devenue son refrain. Je lui sus gré néanmoins d’avoir aidé ma soeur à trouver un nouvel emploi : son salon de thé préféré cherchait une nouvelle serveuse, l’ancienne étant partie puisqu’elle avait refusé de servir un client.
– Il était grossier, violent ?
– Non, juste tatoué et piercé.
Elle m’a raconté cependant qu’elle se faisait du souci pour un de ses frères, qui se remettait difficilement d’une peine de coeur. Je regrettais après coup de ne pas lui avoir demandé combien de frères et soeurs elle avait, habitué que j’étais à n’avoir qu’une soeur. Pris d’une inspiration subite, je lui dis simplement :
– Vos parents savent, pour vos visions ?
– Mon père a grandi dans un gos tas de pierres humides en Ecosse. Ma mère a grandi dans un autre tas de pierres, moins gros mais tout aussi humide, près d’Inverness. Les fantômes ont fait partie de leur enfance.
En ce vendredi matin, veille d’un week-end que j’espère agréable, je rédigeai un rapport d’un ennui abyssale quand Pierre fit irruption ans mon bureau.
– Un forcené a pris en otage un notaire et ses clercs.
Est-il nécessaire de préciser qu’un nom me vint immédiatement à l’esprit ?
Quand nous arrivâmes, les pompiers étaient déjà là, ils embarquaient le forcené, saucissonné, blessé, et pas en état d’être interrogé sur ses motivations. Je reconnus François de Magny, dont un infirmier soignait une plaie à la tête. Imogène était assise dans le camion des pompiers et…
– J’ai pris une balle dans le bras.
– Et tu dis cela comme ça ?
Elle haussa les épaules et grimaça.
– Je guérirai vite, l’ose n’est pas touché – un coup de chance, j’ai si peu de muscle.
– Tandis que j’y suis, quand vas-tu épouser François ?
– Quand il ne sera plus le petit ami de mon frère, et comme ils viennent tout juste de…
Heureusement, quelqu’un m’a retenu, car je crois que j’ai eu un léger moment d’absence. Sinon, j’étais bon pour un nouveau petit séjour à l’hôpital, au minimum, je n’osais imaginer le maximum ?
Imogène était à ma droite, un inconnu, portant d’épaisses lunettes de soleil à ma gauche.
– Vous êtes un excellent enquêteur, Guillaume. Il est cependant des relations qui vous échappent.
L’inconnu m’aida à me relever et Imogène ne fit pas les présentations. Elle refusa de passer la nuit à l’hôpital (pour observer quoi ? Retarder le moment de l’interrogatoire ?) et accepta de répondre immédiatement à nos questions. Sauf que ces réponses étaient plutôt succinctes. Il apparaissait qu’elle ne savait rien, ce qui eut le don d’exaspérer le malheureux chargé de l’interroger. Bienvenue au club, voici un mois que j’attendais des réponses. Le malheureux se nommait Marc et venait tout droit d’une autre brigade que la nôtre (Hectoria, notre divisionnaire, était trop proche de la victime, n’est-ce pas ?)
– Ils se fichent de nous, tous. Ils disent exactement la même chose. Ce Loïc de Varèse est entré dans le cabinet, a demandé à voir maître de Magny, il est entré dans son bureau puis a fermé la porte. Au bout de quelques minutes, des éclats de voix ont retenti, puis un coup de feu. Ils se sont précipités dans le bureau pour secourir le notaire pendant que la première clerc appelait police et pompiers, elle est entrée à son tour pour s’apercevoir que Loïc de Varèse tenait tout le monde en joue. Il leur a tenu un discours incohérent avant de tirer sur la première clerc. Et vous savez ce qu’elle a fait ?
– Elle s’est jeté sur lui, l’a désarmé et mis hors d’état de nuire. Les pompiers sont arrivés juste après, et nous avec, nous n’avons eu qu’à le cueillir.
– Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ? Comment le savez-vous ? Vous êtes entré vous aussi dans le bureau ?
Non. Mais je connaissais suffisamment Imogène pour savoir qu’elle en était capable. Il nous restait à découvrir le mystérieux mobile du turbulent frère d’Emilie de Varèse. Le jour n’était pas encore couché, je comptais bien rendre une petite visite amicale à notre chasseuse de fantôme écossaise préférée.