IX Extérieur nuit.
Lune croissante, donc jardin un peu éclairé.
Hippo fait les cents pas sur la pelouse magnifiquement entretenue (par les moutons, mais il ne faut pas le dire]. Emma et Charles sont assis sur un banc. Emma s’étonne de voir des fenêtres éclairées. Elle demande à Charles de lui parler de « cette histoire tragique » [termes à chercher, voire à modifier] autour de ses filles. Charles esquisse un sourire.
– Voulez-vous la vraie version, ou celle racontée par Géraud de Santeuil et d’autres scribouillards ?
Emma répond « la vraie » sans hésiter.
– J’ai eu cinq filles, Anne, Elisabeth, Claire, Madeleine et Marguerite. Je ne vous apprends pas que les mariages étaient arrangés à l’époque. Mon cousin au second degré m’a proposé une alliance, l’une de mes filles devait épouser son fils, qui souhaitait une épouse qui connaîtrait déjà les méandres de la famille Nanterry. Nous choisîmes, d’un commun accord, Elisabeth, qui correspondait, surtout depuis le grand désagrément, avec la jeune soeur d’Hugo. Pendant les fiançailles, Claire décéda. Le chagrin d’Elisabeth fut tel qu’elle demanda à Hugo, son fiancé, s’il acceptait de repousser le mariage de six mois. Il accepta. Il accepta même que Marguerite, la plus jeune soeur d’Elisabeth, vienne vivre avec eux pour lui servir de dame de compagnie. Au bout de quatre ans, elle épousa un ami d’Hugo et mes deux filles purent vivre, du moins je le crois, le plus heureuses qu’elles le purent : les vies, mêmes ordinaires, ne sont pas exemptes de chagrin.
Hippo continuait à tourner en rond, semblant invectiver quelqu’un. Les lumières du château s’éteignaient peu à peu.
– Comment peut-on broder autour de cette histoire ?
Charles eut un geste las, ne voulant pas se souvenir de ce qui n’avait eu lieu que dans des cerveaux imaginatifs et un poil névrosés.
– Il est en revanche, du côté des Nanterry, une histoire des plus étranges. Une parmi d’autres. Celle que l’on nommait, dans nos propos « le grand désagrément ». Elisabeth de Nanterry, la jeune soeur d’Hugo, la future belle-soeur d’Elisabeth de Carduel ma fille, était fiancée. Tugdual de Santeuil, l’ancêtre de l’imaginatif Géraud, et toute sa famille avaient dormi au château la veille des noces. Ne soyez pas étonnée, le château de Nanterry est tellement immense que l’on s’y perd facilement, et à l’époque, l’aile nord, où étaient logés les Santeuil, ne communiquait pas avec les autres ailes. Depuis, des portes furent percées, ce qui facilite grandement la vie quotidienne.
Au matin, la fiancée fut réveillée par sa soeur aînée, Pauline, soulagée. « Il n’est pas là ». Tugdual de Santeuil avait disparu. Pendant que certains s’invectivaient déjà, Hugo de Nanterry organisait les recherches. Ils retrouvèrent Tugdual dans la forêt alentours, blessé, inconscient, mais vivant. Il aurait voulu se promener et aurait été agressé. Pour l’agression, cela ne fait aucun doute, pour le motif de l’agression… Hugo était persuadé que Tugdual était allé retrouver ce qu’il avait nommé une « gueuse ». Géraud de Santeuil pense que son aïeul a été agressé par Hugo, qui ne supportait pas que sa soeur se marie. D’ailleurs, Tugdual, dès qu’il fut rétabli, ne se privait pas d’accuser Hugo à mots couverts. Bien sûr, le mariage ne se fit pas. Elisabeth était devenue difficilement mariable après le scandale.
– Pourquoi souriez-vous alors ?
– Parce qu’elle a épousé mon fils Xavier pour son plus grand bonheur. La correspondance entre les deux Elisabeth s’est poursuivie toute leur vie, les deux familles sont restées unies, ce qui explique pourquoi, en juin 40, les Carduel rendaient visite au Nanterry.
– Et vous, que pensez-vous de cette agression ?
– Hugo n’y est pour rien puisque Tugdual a survécu. Puis, celui qui a agressé Tugdual s’est acharné sur lui, Hugo détestait se salir les mains.
– Il aurait pu…
– Demander à quelqu’un de s’en charger ? Non, il détestait, comme tout Nanterry, déléguer les affaires importantes. Hugo, comme Philippe, son petit-fils, que vous croiserez peut-être, estime qu’un coup de canne épée bien placée résout un nombre conséquent de problèmes.
Bien que morte, Emma avait singulièrement blêmi.
Hippo se rapprocha d’eux, il sembla avoir enfin trouvé une solution :
– Emma, acceptez-vous que je vous hypnotise ?
[Oui, je sais, en racontant ces deux histoires, je prends mon temps… mais, au moins, je raconte quelque chose, je ne me lamente pas parce que je ne trouve rien. J’ai passé ma nuit d’insomnie à tenter de rafistoler l’histoire principale, on verra ce que cela donne.]