A la suite du mail précédent de Philippe de Nanterry de Chenoncelle, le grand écrivain lui demanda quelques précisions.
Cher grand écrivain,
puisque vous insistez, je vais vous parler plus amplement de l’ancêtre à qui je dois mon prénom.
Non, il ne s’est pas uniquement illustré en tombant malencontreusement par la fenêtre, réduisant à néant le buisson de fleurs planté par son jardinier, et l’éducation de son neveu qui entendit une phénoménale bordée de jurons. Cela fait partie de la légende familiale, cela fait surtout partie des mémoires d’Isabelle de Nanterry, sa fille, qui furent publiées en 1820 – après la Restauration et la restitution du château familial duquel je vous écris, il fallait bien remplir les caisses.
Mon ancêtre soutint vivement les encyclopédistes, il admirait « furieusement » Rousseau, et en dépit de maints soucis financiers, réussit à marier ses deux filles aînées, Clotilde et Jeanne-Hippolyte – cette dernière fut mariée au comte de Carduel, ce qui marqua la première union entre nos deux familles. La deuxième ? Et bien, ma grand-mère Nanterry est née Elisabeth de Carduel.
Revenons à Philippe, si cela ne vous dérange pas. Son grand malheur pour un aristocrate ? Ne pas avoir de fils. Heureusement, son frère cadet en avait un. Je sais qu’il est de tradition de voir le cadet entrer dans les ordres, mais ce ne fut pas le cas pour les Nanterry – Philippe aurait été trop casse-cou dans sa jeunesse, et ses parents auraient préféré assurer l’avenir du nom. Hélas, son neveu était de complexion fragile, donc difficilement mariable en dépit du nom, du domaine, et de la maigre fortune familiale. Philippe eut donc un coup de génie et maria sa dernière fille, Isabelle, oui, celle qui écrivit ses mémoires, à son neveu : Louis-Nicolas, leur fils, naîtrait au domaine en 1785, deux ans après Marie-Catherine.
Pardon ? Comment cela, mon ancêtre vous rappelle furieusement quelqu’un ? Mais pas du tout. Je n’en ai pas fait exprès de marier ma fille aînée à mon neveu. Je me souviens très bien de ma réaction quand Adrien a eu l’outrecuidance, après m’avoir fait passer l’une des pires journées de ma vie mondaine, de me demander la main de ma fille, et bien, j’ai soudain choisi de me déconnecter de la réalité pendant une trentaine de minutes. Oui, je me suis évanoui, si vous préférez. Mon frère préfère dire qu’après cette journée mouvementée, j’ai fait une chute de tension, pour lui, c’est socialement plus acceptable. Donc, non, je n’ai pas organisé le mariage de ma fille Sophie avec mon neveu Adrien, sauf dans le sens où je n’allais pas laisser ma femme et mon frère s’occuper de tout : j’ai donc mis la main à la patte et marquer ma plus vive désapprobation.
Pourquoi Philippe-mon-ancêtre n’a pas marié sa fille aînée à son neveu ? Tout l’intérêt d’avoir des filles est de conclure des alliances – et s’allier avec son petit frère, c’est moyen. Puis, Clotilde était plus âgée que son cousin d’une huitaine d’années, alors qu’Isabelle avait le même âge, ils ont quasiment été élevés ensemble, et s’entendaient très bien : ils ont donc poursuivi sur leur lancée étant mariés. Heureusement qu’ils s’entendaient bien, cela fut plus pratique quand ils fuirent avec leurs enfants en direction de l’Angleterre et qu’ils retrouvèrent les Carduel au port de Saint-Malo : fuir la révolution en famille a un côté pratique certain.
Philippe, mon ancêtre ? Il est décédé deux ans après naissance de son petit-fils, en 1787 donc, avec la certitude d’avoir prolongé la lignée.
Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas.
Philippe-Antoine de Nanterry de Chenoncelle