Hippolyte, accompagné d’Emma et de Charles-Marie, vient de découvrir l’exacte réplique de la ferme des Gambelins, sise versant est de la ville.
– Je n’y descendrai pas si j’étais vous, dit Charles-Marie. Attendons des renforts.
Hippolyte les reconnut aussitôt. C’était la famille de fantômes qu’ils avaient déjà rencontrée près de l’état civil. Il put les examiner plus à loisir. Il s’agissait en fait de trois frères, assez rapprochés en âge, et assez ressemblant. Même chevelure abondante foncée, même yeux clairs.
– Ce n’est pas un bon endroit ici, dit le premier.
– Nous n’aimons pas y retourner, dit le second.
– Que s’est-il passé ? s’écria Hippolyte.
– Officiellement, rien.
– Rien du tout.
– Si peu de choses en faite.
Ils se présentèrent : Clovis, Célestin, et Marcel-Joseph.
– Vous avez été journaliers ici.
– Non ! répondirent-ils en chœur.
– Disons que nous ne travaillions pas loin de l’hôpital de la ville, et que nous avons vu arriver les habitants de cette maison à l’hôpital, et nous aurions aimé ne pas les voir. Nous étions trop vieux, ou trop amoché (Joseph désigna Célestin) pour être mobilisés. Nos enfants, trop jeunes, ironie de l’histoire.
– Les morts et les blessés étaient nombreux ce jour-là.
– Je me souviens de vous, dit Marcel, c’était le chaos, vous étiez la seule à ne pas être couverte de sang.
– Et moi, continua Célestin, je me souviens de tous les autres, tous. Je me souviens de ceux qui sont morts là – il désigna la ferme d’un coup de menton – et ce n’était pas beau à voir. Dans le chaos, dans le … dans l’urgence, on n’a pas eu le temps de tout vérifier. Ma nièce cherchait ses filles, les deux aînées étaient à l’école, elle est partie avec mari et gamines, ma femme aussi a voulu partir avec nos fils. On est parti.
Et on n’a pas pensé à vérifier, à ce que quelqu’un vérifie.
Aucune bombe n’est tombée ici non plus, et les allemands n’étaient pas rentrés dans la ville. Qu’est-ce qui avait causé leur mort ?
Mais c’était deux cas, parmi d’autres. Vous, vous sembliez indemne et vous étiez morte.