C’est la première partie de ce roman que j’écris en dehors de l’Ecosse. Je dois dire que Noël m’a apporté un apaisement inattendu. Me retrouver avec mon fils et mes petits enfants, des personnes qui elles au moins savent que mes romans ne sauveront pas la face du monde et qui n’en ont rien à faire de me poser des questions dessus m’a vraiment réchauffé le coeur. Je reprends l’écriture, je verrai bien jusqu’où je vais.
XXIX Emma se repose dans la chambre. Curieux que les fantômes aient besoin de repos, mais elle s’y fera, un jour. C’est si nouveau pour elle d’aller plus loin, une fois morte, qu’elle n’était jamais allée de son vivant. Hippolyte n’avait pas voulu l’inquiéter, donc il n’avait pas (encore) partagé avec elle ce qu’il avait pressenti et que Charles avait confirmé. D’ailleurs, il rejoignit son neveu dans ce qui déjà, en 1940 devait être le garage.
– Ils ont été tués ici. N’était l’acharnement sur les corps, j’aurai cru à un vol de voiture.
– Sauf que l’on ne vient pas ici par hasard, lui rappela Hippolyte.
– De même, j’aimerai parler à nouveau à notre scrupuleux officier de l’état civil. Je veux bien que l’on soit débordé, je veux bien que l’on ne se souvienne pas de tous les actes. Il est possible qu’un homme devienne père à deux mois de distance. Il est cependant rare que l’enfant soit à chaque fois né d’un légitime mariage.
– Première femme décédée, deuxième femme déjà enceinte épousée dans la foulée, commenta Hippolyte non sans cynisme.
– J’ai vérifié : pas de décès, du moins, pas pendant ses deux mois, et cet heureux premier couple eut trois autres enfants. Par contre, la seconde épouse s’est envolée . Je n’oserai pas de comparaison, la poésie n’est pas mon fort. Ah, et si tu veux mon impression sur le choix de ce lieu pour le meurtre, je dirai que les assassins ne voulaient pas salir la maison, ils ne voulaient pas que leurs futures victimes puissent se défendre, et ils souhaitaient que la découverte de leur corps soit plausible.
– Tuer alors qu’ils essayaient de fuir les bombardements, quelle tragédie.
– Tu m’étonnes…
XXX S’il est une personne qui passait un mauvais quart d’heures, c’était bien notre cher agent de l’état civil. Un fantôme ne pouvait transpirer, son aura pouvait cependant se comporter comme s’il était encore un être vivant.
Vu la vitesse à laquelle il avoua ce qu’il avait fait, Hippo se demanda pourquoi sa combine – soyons gentil, nommons la ainsi – n’avait pas été démasquée plus tôt. Peut-être parce qu’il s’était tellement entraîné à clamer son innocence qu’il ne parvenait plus à tenir un autre discours.
– Je ne l’ai pas fait souvent ! Quatre fois en tout, je crois. Cela rendait service !
– Je ne connais pas très bien la législation, je crois cependant que ce n’est pas très honnête ce que vous avez fait.
– Les erreurs sont fréquentes. Rien n’était plus simple que de dire, quinze ou vingt ans plus tard, qu’il y avait une légère erreur sur la date de naissance, ou la date de mariage des parents. Tous les actes ne sont pas d’une grande précision !
Il lui fallu peu de temps pour avouer que la seconde Emma était en fait une enfant trouvée.
– Epargnez moi votre couplet sur « vous ne savez pas le nombre d’enfants que l’on trouve. » Ce n’est pas que je le connais, c’est que j’ai effectivement trouvé un enfant, une fois.
– Cette petite fille a été mise en pension… et comme la famille de l’Emma qui vous intéresse était particulière.
Oui, il parlait un peu trop. Hippolyte ne l’arrêta pas.
– Sa mère… Constance. Jamais elle ne quittait l’enceinte de la ferme. JA-MAIS. Pas même pour se rendre à l’église, c’est dire. Quand son mari était invité dans sa famille, il y allait seule, avec la petite Emma, qui a quitté l’école tôt, parce qu’elle n’était pas très intéressée, parce qu’après la mort de son père, elle ne voulait pas quitter sa mère. Constance a toujours été ainsi, personne ne se souvient réellement d’elle. Vous comprendrez qu’il était tentant de se servir de son nom pour légitimer un enfant. Son mari ne savait pas lire, et… un enfant, ce n’est pas comme un mariage, on n’est pas obligé d’afficher les bans !