XII Hippolyte détestait ne pas être dans l’action. Ne pas savoir, manquer de piste.
Il y a forcément quelqu’un qui sait, toujours.
Il faut simplement rencontrer la personne qui sait, et qu’elle soit disposée à parler.
Il faut également qu’elle soit consciente que ce qu’elle sait est important, parce qu’elle a peut-être simplement entr’aperçu quelque chose dont elle n’a pas compris toute la signification, de ce qui, pour d’autres, est essentiel.
Hippo comprenait bien qu’Emma ait pu être choquée par ce qu’elle avait vu – même si lui, de son vivant, avait vu bien pire. Avait réagi en conséquence aussi.
Sa famille se scindait en deux aux yeux d’Hippo, ceux qui tentaient de vivre le plus normalement du monde, comme Charles, et ceux qui avait le don pour créer des situations qui se terminaient dans le meilleur des cas sans trop de sang versé. Le pire des cas n’était pas à chercher dans la branche Carduel, mais dans la branche Nanterry, ces charmants cousins.
Ne pas penser à Louis-Nicolas. Lui s’y connaissait dans le domaine du pire, et les Carduel avaient subi ce que l’on nomme aujourd’hui des dommages collatéraux. Ne plus penser à lui.
Retourner à la ferme des Gambelins et ne pas se laisser gouverner par ses émotions.
XIII A quoi ressemble réellement Hyppolite ? Si je vous dis qu’il ressemble à une version gothique de Don Giovanni, cela ne vous aidera pas, puisque vous ne voyez pas comment j’imagine Don Giovanni. Je pourrai le qualifier de beau brun ténébreux, si ce n’est que ce qualificatif est un abominable cliché, et aurait le mérite de le faire sourire. Oui, son œil s’allumerait alors d’un doux pétillement ironique. C’est cela, vraiment, qui caractérise Hippolyte : plutôt qu’un visage aux traits si fins qu’on aurait pu croire ceux d’une femme, plutôt qu’une masse de longs cheveux bruns indisciplinée, c’était cette lueur dans le regard qui le définissait. Sa capacité à prendre suffisamment de recul avec ce qu’il voyait pour analyser ce qui se passait. L’histoire, la guerre, n’empêchaient ni les haines ni les passions, elles ne s’étaient pas mises en sommeil pendant six années.
XIII – Emma est née deux fois.
– Pardon ?
Hippo avait agi toute sa vie en s’appuyant sur une solide documentation, ce qui lui avait permis à maintes reprises de sauver sa peau et celle des autres.
– Il est deux actes de naissance à son nom, dans la même ville, à six mois de distance, sans que cela ne choque personne. Les deux actes ont été dressés lors de deux années civiles différentes, mais les parents de la petite Emma sont bien les mêmes. J’ai également trouvé le nom des propriétaires de la ferme : Desplasier. Hâte d’en savoir plus sur eux, surtout que la ferme a été vendue après le décès d’Alexandre Desplasier, qui a eu la délicatesse de mettre à la porte ceux qui louaient cette ferme. Petit détail qui a son importance : l’acte de décès d’Alexandre Desplasier est proprement introuvable. Je voudrai bien savoir qui tenait l’état civil dans cette charmante bourgade.